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Recommandation (n°9) relative à lutte contre la fraude documentaire
en matière d’état civil
adoptée à Strasbourg le 17 mars 2005
La Commission Internationale de l’État Civil,
considérant que les autorités des États membres sont confrontées à un nombre croissant de documents d'état civil étrangers attestant des événements d'état civil qui ne correspondent pas à la réalité, en raison notamment d'une tenue défectueuse des registres ou de manœuvres frauduleuses,
considérant que ces manœuvres frauduleuses tendent souvent à obtenir des avantages indus, notamment l'accès au territoire, l'acquisition ou la reconnaissance de la nationalité ou divers droits sociaux,
considérant que l'intérêt des États membres est de pouvoir identifier les documents défectueux, erronés ou frauduleux, afin de lutter contre leur utilisation abusive ou indue,
Adresse aux États membres la Recommandation suivante :
Les États membres rappellent à leurs autorités d'état civil, à leurs autorités administratives et à leurs autres autorités compétentes que, lorsqu’un extrait d'un registre de l'état civil est nécessaire pour la preuve de l’état civil, les seuls extraits pouvant être admis sont ceux signés et datés par l'autorité compétente, le cas échéant revêtus de son sceau, et mentionnant en outre le registre duquel ils sont issus.
Les États membres attirent l'attention des mêmes autorités, destinataires des documents d'état civil étrangers, même légalisés, sur des indices susceptibles de révéler le caractère défectueux, erroné ou frauduleux d'un acte de l'état civil ou d'un document produit, notamment les indices suivants:
a) Indices résultant des conditions d’établissement de l'acte ou du document :
- délai très long entre la date d'établissement d'un acte et celle de l'événement qu'il relate;
- acte établi tardivement par rapport à l'événement qu'il relate et très peu de temps avant la démarche pour laquelle le document est produit;
- contradictions ou invraisemblances entre les différentes données de l'acte ou du document;
- acte établi sur la seule déclaration de la personne directement concernée par l'acte;
- acte établi sans élément objectif garantissant la réalité de l'événement qu'il relate;
- document établi par une autorité ne détenant pas l'acte originaire ou n'y ayant pas accès.
b) Indices résultant d'éléments extérieurs au document :
- contradictions ou invraisemblances entre les données du document produit et celles figurant dans d'autres actes ou documents portés à la connaissance de l'autorité saisie ou détenus par elle;
- les données figurant dans le document produit ne semblent pas correspondre à la personne concernée;
- existence de fraudes ou d'irrégularités antérieures imputables à l'intéressé et portées officiellement à la connaissance de l'autorité saisie;
- nombreuses irrégularités dans la tenue des registres d'état civil ou la délivrance d'extraits des registres dans l'État d'origine du document produit, portées officiellement à la connaissance de l'autorité saisie.
Lorsque des indices font douter de l'exactitude des données figurant dans le document produit ou de l'authenticité des signatures, du sceau ou dudit document, l'autorité saisie procède à toutes vérifications utiles, notamment auprès de l'intéressé. Le cas échéant, elle fait procéder, dans la mesure du possible et avec l'accord des autorités locales, à une vérification de l'existence de l'acte dans les registres de l'État d'origine et de sa conformité avec le document produit.
a) Lorsque les éléments constatés établissent le caractère frauduleux du document produit, l'autorité saisie refuse de lui attacher quelque effet.
b) Lorsque les éléments constatés établissent le caractère défectueux ou erroné du document produit, l'autorité saisie apprécie si un effet peut être donné à ce document, en dépit du défaut ou de l'erreur qu'il comporte.
Lorsque l'autorité saisie refuse de donner totalement ou partiellement effet au document, elle informe l'intéressé de la faculté d'exercer un recours, soit d'abord devant l'autorité supérieure, soit directement devant l'autorité judiciaire, et de présenter à cette occasion ses observations et, s'il y a lieu, des éléments de preuve complémentaires.
Les États membres collaborent entre eux pour mettre en commun leurs informations et les moyens d'identification des actes et documents défectueux, erronés ou frauduleux. En particulier, ils prennent en considération le résultat des contrôles déjà effectués par les autorités d'un autre État membre.
Rapport explicatif
Généralités
La Commission Internationale de l'État Civil (CIEC) porte depuis longtemps une attention particulière au phénomène toujours croissant de la fraude en matière d'état civil, comme en témoigne l'étude publiée en 1996 et actualisée en 2000.
Or, au cours des dernières années, les débats au sein d'un groupe de travail ont mis en évidence que les autorités des États membres de la CIEC rencontrent toujours davantage de documents d'état civil étrangers qui ne présentent pas les garanties nécessaires ou qui relatent des événements d'état civil qui ne correspondent pas à la réalité, par exemple en raison d'une mauvaise organisation ou tenue de l'état civil local ou d'une falsification.
La présente Recommandation répond au souhait des États membres de donner une forme plus concrète aux informations échangées dans le groupe de travail quant aux extraits et documents d'état civil étrangers dont la forme et/ou le contenu sont de nature à poser problème quand ils sont présentés dans les États membres, notamment en vue de s'y voir reconnaître des droits ou d'y obtenir des avantages divers. Elle n'aborde pas d'autres types de fraude qui sont également de plus en plus nombreux, comme les reconnaissances ou les adoptions mensongères, ou encore les mariages de complaisance, ces derniers ayant notamment fait l'objet d'une Résolution du Conseil de l'Union Européenne du 4 décembre 1997 sur les mesures à adopter en matière de lutte contre les mariages de complaisance.
Bien que le texte ne se limite pas aux cas de manœuvres frauduleuses, l'expression "fraude documentaire" a néanmoins été retenue dans le titre de la Recommandation, par souci de brièveté et parce que c'est celle qui est le plus souvent utilisée. Les buts recherchés par des manœuvres frauduleuses, cités dans le préambule, ne sont donnés qu'à titre d'exemples.
La présente Recommandation souhaite attirer l'attention des autorités des États membres sur les indices permettant d'identifier les documents d'état civil défectueux, erronés ou frauduleux, d'une part, et vise à promouvoir une collaboration entre les États membres en vue d'une telle identification, d'autre part.
Pour ce faire, la CIEC a inventorié les cas les plus fréquents de documents dont la forme et/ou le contenu sont douteux pour les classer en trois catégories distinctes:
a) les documents irréguliers en la forme mais dont le contenu est exact ;
b) les documents, réguliers ou irréguliers en la forme, dont le contenu est erroné mais qui ne relèvent d'aucune intention frauduleuse ;
c) les documents, réguliers ou irréguliers en la forme, qui ont été créés ou falsifiés intentionnellement dans le but de se prévaloir d'un événement d'état civil inexistant ou inexact.
Partant du constat que l'intention frauduleuse est souvent difficile à établir et que l'intérêt pour les autorités destinataires des documents est de savoir si l'événement ou la situation d'état civil relaté dans le document présenté est exact ou non, la Recommandation
- rappelle les signes matériels en l'absence desquels l'authenticité de tout extrait délivré à partir d'un registre de l'état civil ne peut être garantie;
- attire l'attention sur un certain nombre d'indices résultant des conditions d'établissement ou d'éléments extérieurs, qui sont susceptibles de révéler le caractère défectueux, erroné ou frauduleux d'un document;
- précise les modalités des contrôles à effectuer, et les suites à donner si ces contrôles révèlent qu'un document atteste des événements d'état civil qui ne correspondent pas à la réalité, que l'intention soit frauduleuse ou non.
Commentaire des différents points de la Recommandation
Point 1
Le point 1 précise les conditions minimales que tout extrait d'un registre de l'état civil doit respecter pour qu'il puisse être admis comme mode de preuve de l'état civil d'une personne, lorsque la production d'un tel extrait est exigée à cette fin. Le point 1 indique les signes matériels les plus élémentaires qui doivent permettre d'identifier l'autorité qui a délivré le document, la compétence de celle-ci (signature, sceau et date) et le registre dont ce document est issu. Dans certains États toutefois, comme le Royaume-Uni, le sceau peut parfois tenir lieu de signature. Bien qu'un extrait d'un registre de l'état civil indique habituellement aussi le numéro sous lequel l'acte, dont les informations sont reprises dans l'extrait, a été enregistré dans un registre donné, cet élément n'a pas été mentionné parmi les indications élémentaires, la pratique de la numérotation pouvant varier selon les pays. La condition de date, de signature et, le cas échéant, de sceau s'applique par identité de motifs aux certificats et autres pièces d'état civil qui ne sont pas à proprement parler des extraits (par exemple, un certificat de capacité matrimoniale, un certificat de célibat ou un certificat de vie).
Le mot "extrait" utilisé dans le point 1 vise tout document (y compris ceux établis à partir d'un système informatique) reprenant des données inscrites dans les registres de l'état civil, délivré par l'autorité compétente, à savoir les extraits, sous une forme plus ou moins abrégée, et les copies intégrales des actes inscrits dans ces registres.
Ce point 1 et le suivant attirent l'attention sur le fait que des documents d'état civil sont susceptibles d'être présentés à de nombreuses autorités nationales dans les États membres (comme par exemple, les préfectures, les tribunaux, la police, les services des étrangers, etc.) qui, contrairement aux praticiens de l'état civil, ont sans doute moins souvent l'occasion d'être confrontés à des documents d'état civil étrangers. Outre l'action positive consistant à attirer l'attention de toutes les autorités concernées sur le contenu de la Recommandation, il conviendrait, de l'avis de la CIEC, que les États membres réfléchissent aux moyens qui permettraient de former ces autorités à la détection des documents d'état civil défectueux, erronés ou frauduleux, par exemple en présentant un recueil de modèles d'actes étrangers ou en favorisant une coopération plus étendue entre les autorités internes, notamment sur les procédures permettant de détecter des documents d'état civil contrefaits.
Point 2
En complément des signes élémentaires précisés dans le point 1, le point 2 énumère de façon non limitative des indices qui peuvent conduire à mettre en doute la régularité d'un document étranger et/ou l'exactitude de son contenu et entraîner une vérification selon les procédures visées au point 3. Il ne s'agit, bien entendu, que d'indices qui, pris isolément, ne sont pas déterminants, mais dont la présence, surtout en combinaison avec d'autres, doit appeler la vigilance de l'autorité saisie. L'attention est attirée sur le fait que les indices peuvent résulter des conditions d'établissement du document, des données qui y figurent ou d'éléments extérieurs au document.
Il est à relever que le point 2 s'applique même aux documents légalisés, la légalisation ne recouvrant que la vérification des aspects formels d'un document (véracité de la signature, qualité du signataire, identité du sceau apposé) sans attester l'exactitude des renseignements contenus dans le document légalisé.
La plupart des indices énumérés n'appellent pas de commentaires particuliers. On notera toutefois que:
- le mot "acte" dans ce point 2 et dans la suite de la Recommandation désigne l'acte originaire inscrit dans les registres de l'État de provenance du document produit ;
- aux deux premiers tirets de l'alinéa a) sont visés, entre autres, les jugements supplétifs ;
- le quatrième tiret de l'alinéa a) vise notamment la procédure d'auto-certification, sans l'appui d'une déclaration par un tiers ;
- le cinquième tiret de l'alinéa a) vise, par exemple, un acte de naissance établi sans certificat médical ;
- le sixième tiret de l'alinéa a) se réfère aux cas où une autorité, sans détenir l'acte originaire ou sans y avoir un accès direct, établit un document, par exemple à partir d'un extrait ou d'une photocopie;
- l'appréciation des éléments visés aux deux derniers tirets de l'alinéa b) ne doit pas se fonder sur des impressions subjectives, de simples rumeurs ou des incidents isolés ; il faut que ces éléments aient été portés officiellement à la connaissance de l'autorité saisie, par exemple par une communication administrative ou par une instruction.
Point 3
Le point 3 décrit les procédures de vérification qu'il convient de mettre en œuvre dans le cas où des indices font douter de l'exactitude ou de la régularité d'un document.
Le texte est rédigé de manière à laisser une large marge d'appréciation à l'autorité à laquelle le document invoqué est présenté. Il lui incombe, en fonction des possibilités que lui offre sa législation interne, de choisir la procédure qu'elle estime la plus appropriée en l'espèce, compte tenu de toutes les circonstances. Ainsi, dans certains cas, lorsqu'il ressort clairement du document ou des circonstances que le document présenté est erroné ou frauduleux, une enquête approfondie n'est guère ou pas du tout nécessaire. Dans d'autres cas, une vérification auprès de l'intéressé ou une vérification dans le pays étranger peut paraître nécessaire. Dans certains cas, il peut être opportun aussi de faire analyser le document produit dans un laboratoire spécialisé.
Quoi qu'il en soit, la CIEC estime qu'il y a intérêt, pour certains États, à revoir leur législation interne afin de s'assurer qu'elle permet des vérifications d'une portée suffisante (par exemple, le contrôle du contenu d'un document, et pas seulement de sa forme) et qu'elle reconnaît à l'instance chargée d'une enquête des pouvoirs d'investigation assez larges. Certains États prévoient déjà le recours à des procédés scientifiques d'investigation. Un juste équilibre est à rechercher entre le principe général de présomption de la validité de documents d'état civil étrangers, l'intérêt général que représente la fiabilité des renseignements d'état civil et les droits fondamentaux de l'intéressé.
Le texte ne précise pas la manière d'effectuer les diverses vérifications, dans la mesure où ces dernières dépendent également des circonstances de l'espèce. Toutefois, cette tâche étant délicate et appelant une expérience, il pourrait être utile de prévoir un mécanisme de surveillance pour autoriser et harmoniser les démarches entreprises à un niveau inférieur, pour s'assurer que les renseignements recueillis et l'expérience gagnée soient diffusés à toutes les instances concernées et pour veiller à ce que les situations similaires ne soient pas traitées de manière différente.
Les vérifications auprès de l'intéressé peuvent s'effectuer par écrit (notamment, une demande de documents supplémentaires) ou par entretien. Lorsque la vérification dans l'État étranger s'avère indispensable pour s'assurer qu'un acte existe dans les registres locaux et que les indications y figurant sont conformes à celles du document présenté, elle présuppose évidemment le concours des autorités locales. Pour les enquêtes sur place, l'État membre concerné aura recours en premier lieu à ses services consulaires, qui pourront décider d'effectuer eux-mêmes les investigations ou de confier ce mandat –comme les autorités de certains États membres le font déjà- à un avocat de confiance ou autre spécialiste ayant l'expérience pratique et juridique requise. Dans ce dernier cas, il est recommandé de ne pas divulguer l'identité du mandataire à des particuliers et de ne pas utiliser le même spécialiste pour toutes les opérations. De toute façon, il importe de veiller à ce que toute enquête soit menée avec diligence, des droits fondamentaux de l'intéressé pouvant se trouver en cause (par exemple, documents d'état civil produits aux fins de regroupement familial).
Le point 3 ne traite pas des frais des procédures de vérification et de leur remboursement éventuel par l'intéressé. Cette question est laissée à l'appréciation de l'État membre concerné.
Point 4
Ce point précise les suites à donner s'il est établi que le document produit est défectueux, erroné ou frauduleux. Alors qu'un document frauduleux devrait toujours être privé d'effet (a), il n'en va pas nécessairement de même si le document n'est que défectueux ou erroné (b). Ainsi, l'autorité saisie peut estimer qu'il y a lieu de lui donner un certain effet (pas forcément total), notamment s'il s'avère possible de remédier au défaut par la production de documents supplémentaires, une procédure de rectification ou un autre moyen. Ce pourrait être le cas d'une copie intégrale de l'acte de naissance comportant diverses mentions marginales ou ultérieures qui serait admis comme preuve de la naissance mais pas des autres événements d'état civil y relatés.
Point 5
Ce point traite des garanties qui doivent être offertes à l'intéressé dont le document étranger est privé totalement ou partiellement d'effet. Il est rédigé de façon à tenir compte des différences qui existent entre les États membres en matière de recours contre les décisions administratives. Ce qui importe, afin de satisfaire aux exigences de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, est qu'un recours judiciaire soit ouvert à l'intéressé au moins à la fin de la procédure. En effet, comme la Cour européenne des Droits de l'Homme l'a précisé, l'état des personnes relève des "droits de caractère civil" au sens de l'article 6 (arrêt Mustafa c. France du 17 juin 2003, § 14).
Étant donné que les contrôles préconisés par la Recommandation peuvent aboutir à priver d'effet un document produit par une personne qui n'est que la victime passive d'une mauvaise tenue de l'état civil dans son pays, il y a lieu de prévoir la possibilité de fournir, dans un tel cas, la preuve d'un événement d'état civil par d'autres moyens.
Point 6
Même si les documents incriminés proviennent de pays divers et que les États membres de la CIEC ne rencontrent pas tous des difficultés avec les mêmes pays étrangers, il n'en reste pas moins que l'identification des documents d'état civil étrangers, défectueux, erronés ou frauduleux, est une préoccupation partagée par tous les États membres de la CIEC, de nature à justifier que la CIEC préconise l'instauration d'une coopération plus étroite dans ce domaine. Parmi les mesures permettant de renforcer cette collaboration entre les États membres, on peut notamment envisager :
- l'échange systématique, par l'intermédiaire du Secrétariat Général de la CIEC ou d'un groupe de travail, d'informations sur les cas de fraude documentaire rencontrés et les moyens de lutte mis en œuvre ;
- l'établissement d'un inventaire des expériences tirées des procédures de vérification ;
- la constitution d'une base de données renfermant des modèles d'actes ou de documents en provenance de pays non membres de la CIEC ;
- la collaboration, en matière de vérifications, entre les services consulaires des États membres, y compris, aux fins des investigations dans un pays étranger, le recours par plusieurs États au même spécialiste ou avocat de confiance.
Le texte recommande la prise en considération des résultats d'enquêtes effectuées par un autre État membre, mais laisse l'autorité saisie libre d'apprécier ce qu'il convient d'en faire. Ainsi, celle-ci pourra se contenter de l'examen déjà fait dans ou par un autre État membre ou, au contraire, procéder à une nouvelle vérification, si elle dispose d'informations divergentes plus fiables ou estime avoir une meilleure connaissance du fonctionnement du service de l'état civil étranger que ne l'avait l'autre État membre.
Seul l’original français fait foi.